Un pigment est un matériau insoluble dans le milieu dans lequel il est dispersé alors qu’un colorant y est soluble [1] [2].
Les matières colorantes absorbent la lumière dans un domaine de longueur d’onde compris entre 400 et 750 nm. Les origines de la couleur sont liées aux structures chimiques de ces substances [1a]. Pour les composés organiques il s’agit d’une absorption d’un niveau électronique moléculaire à un autre. Pour les composés minéraux ce sont souvent des cations de métaux de transition d’un solide qui sont responsables de l’absorption mais il faut tenir compte de leur environnement anionique (transitions entre les niveaux électroniques des complexes cation/anion ainsi formés). C’est ainsi que l’ion cobalt (II) passe du bleu de cobalt [Co3(PO4)2] au violet clair [Co3(AsO4)2] ; le violet de cobalt est le seul pigment violet de la palette du peintre ! [1a].
Dans les peintures de la grotte de Chauvet découvertes au début des années 2000 et qui datent de 33000 ans environ, s’il est aisé de comprendre que le noir provient du charbon issu de la calcination des os, d’ivoire ou du bois, il n’est pas évident d’expliquer la présence des nuances d’ocre ! Il a été démontré par analyse de diffraction des rayons X au Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF) que les pigments ocre sont tous des oxydes de fer : l’hématite (Fe2O3) de couleur rouge et la goethite (FeOOH) de couleur jaune. Dans les deux cas c’est le cation Fe3+ qui se trouve au centre d’un octaèdre dont les six sommets sont respectivement six ions oxyde, et trois ions oxyde et trois ions hydroxyde, les absorptions n’ayant pas lieu aux mêmes longueurs d’onde. La cuisson de la goethite permet sa transformation en hématite et c’est vers 300 - 400°C que l’on obtient les ocres orangés [3] [8].
Le bleu égyptien n’est pas un pigment naturel mais obtenu par chauffage aux environs de 1000°C d’un mélange de calcaire, de silice et de composés cuivreux pour conduire à une masse compacte hétérogène de cuprorivaïte (CaO, CuO, 4 SiO2) et de quartz et tridymite (variétés de silice SiO2) : la nuance de bleu varie avec la température de 900 à 1100 °C et le broyage conduit alors à une couleur bleu clair pour des grains de 20 µm [1].
La couleur bleue (bleu outremer) du lapis-lazuli n’est pas due à l’élément cuivre mais au soufre ! En effet des mesures par RPE (1970) ont mis en évidence l’anion radical trisulfure (S3-), dans une cage d’aluminosilicate type zéolithe, qui absorbe vers 600 nm (dans le domaine du rouge) ce qui explique sa couleur bleue (couleurs complémentaires) [1].
Le bleu de Prusse est un pigment minéral de formule Fe4 [Fe(CN)6, 15 H2O]3 qui cristallise dans le système cubique faces centrées. Depuis la découverte à Berlin par Diesbach en 1706 [5a] il était préparé par distillation du sang en présence de sulfate de fer en milieu alcalin (carbonate de potassium). Actuellement il est préparé à partir de deux solutions aqueuses d’hexacyanoferrate (II) de potassium et de nitrate de fer (III). Il est possible de changer la couleur simplement en modifiant les degrés d’oxydation de l’un des cations. Par exemple sous l’action d’une électrolyse la réduction suivante peut se produire :
K4FeIII [FeII(CN)6]4 + 4 K+ + 4 e- → K8 FeII [FeII(CN)6 ]4
La couleur est variable en fonction du potentiel appliqué à la cathode : -0,2 V (incolore), - 0,6 V (cyan) 1,0 V (vert), 1,5 V (jaune) ! Cela pourrait permettre de créer des vitres pouvant changer de couleur sous l’action d’un courant électrique. Des brevets ont été déposés mais sans développement à ce jour [5b].
Le bleu de Prusse intervient dans la composition de cathodes en particulier sous la forme NaxMaNbFe(CN)6 des batteries sodium–ion (Na–ion), où M et N sont des éléments de transition avec x voisin de 1,9 et a et b ≤ 1. La batterie au sodium est moins onéreuse que celle au lithium et offre une solution durable au stockage de l’énergie avec des dizaines de milliers de cycles de décharge/charge, chaque cycle durant quelques minutes ; elle est développée actuellement par la Société Natron Energy en Californie [6].
La mauvéine est un pigment découvert par hasard par Perkin en 1856 à Londres, alors qu’il cherchait une synthèse de la quinine… qui permettait de traiter la malaria ! L’analyse en 2007, a montré qu’il s’agissait ici d’un mélange de quatre molécules organiques de couleur mauve appelées mauvéines A, B1, B2 et C. Ainsi la Reine Victoria en Angleterre et l’Impératrice Eugénie ont porté de somptueuses robes de soie colorées avec de la mauvéine ! [7] [8]
La poudre de pigment n’est pas applicable directement sur un support : pour assurer l’adhésion, les particules doivent être dispersées dans une substance appelée liant.
Dans la peinture à l’eau le liant a été d’abord de l’eau à laquelle on ajoutait de la gomme arabique (molécules de sucres associées solubles dans l’eau) pour obtenir des aquarelles ou des gouaches selon la quantité de gomme ajoutée. Puis, à partir du XVe siècle, on a ajouté à l’eau du jaune d’œuf. Ce dernier renferme 30% de lécithine qui est un phospholipide, molécule contenant des chaînes hydrocarbonées apolaires lipophiles avec des extrémités chargées hydrophiles ; on obtient une émulsion dans laquelle les particules de pigments (composé ioniques) sont alors dispersées sans pouvoir s’associer en agglomérats qui seraient inutilisables pour la peinture. On peut remplacer le jaune d’œuf par de la glycérine [1a].
Dans la peinture à l’huile, le liant est surtout l’huile de lin. Son usage a été introduit par les frères Van Eyck au XVe siècle. L’huile de lin est un mélange de triglycérides, triesters du glycérol et de trois acides gras insaturés (dans ce cas les acides linolénique, linoléique et oléique). La pâte contenant les pigments dispersés dans l’huile est conservée dans des tubes. Étalée sur la toile, la peinture « sèche » : en fait elle donne une réaction de polymérisation en présence de l’oxygène de l’air grâce aux doubles liaisons C=C insaturés pour donner un réseau 3D par réticulation et donc un film résistant et souple [1a].
Mais un grand changement s’est opéré avec les peintures acryliques dans les années 1950. Cette découverte est due à des chimistes de Mexico : le liant est une émulsion d’eau et de résines acryliques (solubles en milieu aqueux en raison des parties protiques ou polaires) issues de la polymérisation de dérivés acryliques monomères de type CH2=CH-CO2H ou CH2=CH-CO2R qui conduisent à des films de très grande élasticité avec un temps de séchage bien plus court. Elles sont moins sensibles au vieillissement [1a].
Le vieillissement de la peinture des tableaux peut correspondre à des phénomènes d’oxydation. Par exemple la couleur jaune utilisée par Van Gogh était du sulfure de cadmium qui s’oxyde à l’air pour donner des taches blanchâtres de sulfate de cadmium selon l’équation : Cd S (jaune) + O2 → Cd SO4 (blanc) [1b].
Ce pigment toxique (car il contient du cadmium) n’est plus autorisé depuis les directives européennes de 1996 ; cela explique l’apparition récente de pigments à base de sulfure de cérium et de de sodium [8].
Mais le vieillissement peut aussi provenir des réactions d’oxydation photochimique : ainsi la laque géranium (par analogie avec la couleur de la fleur !) utilisée par Van Gogh « passe avec la lumière » et se décolore progressivement. Une analyse par microscopie électronique à balayage a montré la présence d’atomes de brome caractéristiques de la molécule d’éosine [9]. L’éosine absorbe dans le vert à 529 nm. On montre de plus par voltamétrie cyclique que le potentiel redox de l’éosine à l’état fondamental est de 0,78 V mais qu’il s’abaisse à – 1,11 V lorsque l’éosine est à l’état excité, ce qui rend donc l’éosine plus sensible à l’oxydation par l’oxygène [10].
La connaissance des pigments utilisés par un peintre à une certaine période de sa vie permet de dater et donc d’authentifier un tableau. Le développement de l’instrumentation - du pinascope (premier petit microscope utilisé pour l’examen scientifique des peintures) du Dr Pérez des années 30 aux méthodes actuelles de microscopie électronique à balayage couplées avec la diffraction et la fluorescence X - a révélé des fraudes et des scandales retentissants [9].
Ainsi Van Meegeren un peintre restaurateur hollandais avait vendu à Hermann Goering un tableau de Vermeer (peintre hollandais du XVIIe siècle) représentant Marie-Madeleine lavant les pieds du Christ et authentifié par des experts de l’époque… Il fut arrêté à la fin de la guerre et pour « se disculper », il a avoué la falsification en repeignant le tableau devant les enquêteurs. Pour améliorer sa technique (pour rendre ses faux encore plus vrais !) il remplaçait l’huile par des résines acryliques… mais s’il veillait à n’acheter que des pigments purs, un marchand de couleurs avait ajouté, en oubliant de le lui signaler, quelques pigments supplémentaires et en particulier du bleu de cobalt synthétisé par Thénard bien après la mort de Vermeer… en 1799 ! [11]
Image d'illustration
Pour approfondir et illustrer ce sujet :
[1a] La chimie crée sa couleur… sur la palette du peintre de B. Valeur, article et conférence-vidéo du colloque La Chimie et l’Art (2009) sur Mediachimie.org
[1b] Matériaux du patrimoine et altération. Analyses par rayonnement synchrotron de K. Janssens, article et conférence-vidéo du colloque La Chimie et l’Art (2009) sur Mediachimie.org
[2] Les pigments et les colorants : on en parle ? de M. Jaber et Ph. Walter, L’Actualité Chimique n°444-445 (octobre-novembre 2019) p. 13
[3] Identifier les pigments et comprendre leurs propriétés à partir de la diffraction des rayons X de Ph. Walter et coll., L’Actualité Chimique n°387-388-389 (juillet-août-septembre 2014) p. 170
[4] Les couleurs à l’époque de Toutânkhamon de B. Valeur, L’Actualité Chimique n°444-445 (octobre-novembre 2019) p. 10
[5a] La première couleur artificielle : le bleu de Prusse de Catherine Marchal anecdocte et vidéo sur Mediachimie.org
[5b] Toutes les couleurs du bleu de Prusse de G. Fornaseri et coll., L’Actualité Chimique n°444-445 (octobre-novembre 2019) p. 21
[6] L’actualité du solaire juillet 2020
[7] Des matériaux, patrimoines de l’humanité ? Préserver et transmettre une part de l’histoire de la chimie de Ph. Walter, article et conférence du colloque Chimie et Alexandrie (2019) sur site mediachimie.org
[8] Comment la synthèse ratée d’un médicament conduit à un colorant industriel : la mauvéine de B. Bodo et G. Emptoz, anecdote et vidéo sur Mediachimie.org
[9] Histoire secrète des chefs d’œuvre (C2RMF) de D. Dubrana, Editions SPE BARTHELEMY (2001), un beau livre !
[10] Les colorants et la lumière pour transformer la matière N. Hoffmann et coll., L’Actualité Chimique n°444-445 (octobre-novembre 2019) p.38-43
[11] L’Art-Chimie de Ph. Walter et F. Cardinali, Éditions Michel de Maule / Fondation de la Maison de la Chimie (2013), un autre beau livre !
Niveau de lecture : intermédiaire
Nature de la ressource : zoom sur...